L’été de Selma

Voici une nouvelle écrite en hommage à Selma Lagerlöf, une auteure phare de la littérature suédoise et la première femme à recevoir le prix nobel de littérature. Elle a écrit par exemple, le merveilleux voyage de Nills Holgersson, auquel mon texte fait indirectement référence.

 

Si vous voulez plus d’informations :

http://www.selmalagerlof.org/french.php

http://nilsholgersson.free.fr/conte_nils_holgersson.html

 

 

 

L’été de Selma

Quoi ? Déjà ? Il faudrait déjà partir ?
La plage, encore bien remplie pourtant, s’agite d’une fébrilité caractéristique. Il est vrai que, maintenant que j’y pense, la fraîcheur du soir se fait plus pénétrante depuis quelques jours et les fruits des sorbiers se colorent insensiblement. Comment ai-je pu ne pas remarquer que l’été déclinait ?


Une sourde fatigue s’insinue en moi. Mon corps s’affaisse un peu plus sur le sable moite. Si je pars, je ne reviendrai plus, je n’en aurai plus la force, je le sens. Je suis lasse, si lasse. Il y a bien longtemps que je ne vais plus flirter avec les vagues comme ces jeunes qui piaillent autour de moi. Leurs cris ne me dérangent pas vraiment, mais ils me rendent vaguement nostalgique.
Où est passé le temps où je leur ressemblais ? Je me souviens de ma vigueur d’alors, de mes jeux dans le vent et de mes rêves de voyage. Je revois encore les regards d’envie posés sur ma silhouette, la lueur de désir allumée à mon passage. Je ne me préoccupais pas des vieux échoués sur un rocher, qui ruminaient leurs maux comme je le fais désormais. Tout juste ressentais-je de temps à autre un peu de compassion à leur égard. Comme tout cela me parait loin…


Tiens, voilà Selma, la petite fille qui vient presque chaque jour depuis le début de la saison. Elle s’installe sur une pierre non loin de moi et reste là, seule, attentive, les yeux veloutés d’une douce intelligence. Elle semble différente. J’ai l’impression qu’elle m’observe, qu’elle me comprend. C’est peut-être un peu à cause d’elle que je ne veux pas partir.


Mais j’aperçois des larmes au coin de ses yeux aujourd’hui. Quel chagrin enfantin désole-t-il cette âme délicate ? Je surmonte mon engourdissement pour m’approcher de ma compagne éplorée. Alors, pour la détourner de son tourment, je commence à lui raconter ma vie, à lui décrire mes voyages. Je lui peins la beauté sereine des marais salants de Camargue au crépuscule, l’éclat sans égal des reflets de la Méditerranée, le charme mystérieux des vastes plaines de Hollande sous leur étole de brume… Et puis je parle à Selma de son pays, qui devient le mien chaque été, des aubes féériques aux couleurs d´arc en ciel, des immenses forêts trouées par des lacs aux eaux profondes, de l´écho du silence caressant l’infini.


Au fil de mon récit, les larmes de la fillette s´évaporent pour ne laisser que quelques traces salées, comme en laisse la marée, sur les dunes de ses joues. Dans les yeux de Selma brillent à présent un espoir sans limite, une ardeur de liberté nouvelle.
Demain, je partirai, petite. Ce sera mon dernier voyage. Mais je te laisserai en cadeau une de mes plumes, la plus belle, la plus soyeuse, la plus précieuse. Grâce à elle, je poursuivrai mon vol à jamais, sur les pages de tes livres et dans le ciel de ton imagination.